Texte de: SY Ousseynou Saidou Doctorant à l’Université Paris Nanterre/ IDHES
Avec la participation de : SARR Mame Gnagna ingénieur en agroforesterie, écologie et adaptation
«Toute personne a droit à l’éducation» selon l’article 26 de la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948. D’autres textes et traités suivent dans la même direction en ciblant les couches les plus vulnérables (handicapés, migrants, réfugiés etc…). Or, en dépit des dispositions institutionnelles ce droit fondamental est mis en épreuve dans son application. En effet, les métamorphoses contemporaines des questions politiques, sociales et économiques posent de véritables défis à son plein exercice, particulièrement dans certaines zones notamment en milieu rural des pays pauvres ou en voie de développement. Ainsi, l’égalité des droits d’accès à l’éducation de tous les citoyens et à un enseignement supérieur de qualité sont des problèmes factuels. Alors, la question à savoir si le droit à l’éducation doit être étendu au même titre que les droits de l’homme, revêt un sens particulier pour les sénégalais que nous sommes. Cette interrogation générale déclinée par la suite sous plusieurs questions spécifiques est à la base de notre argumentaire qui est divisé en trois parties: d’abord, sur les défis d’un droit qui se veut universel, ensuite, sur les nouvelles dimensions de l’enseignement supérieur et en fin sur les nouvelles directives que devraient prendre ce droit fondamental pour élargir son influence.
LES DEFIS D’UN DROIT QUI SE VEUT UNIVERSEL : LE CAS DU MONDE RURAL AU SENEGAL
Pour traiter la question du droit à l’éducation des enfants dans le monde rural, je ne peux que me replonger dans mon enfance. Une période certes ancienne mais dont la situation reste presque identique dans la majorité des zones rurales. En effet, je vous raconte une partie de ma vie qui concerne des millions de jeunes ruraux africains particulièrement sénégalais, car comme le disait le poète, Victor Hugo «…quand je vous parle de moi, je vous parle de vous…». Les difficultés que nous, enfants du monde rural faisons face sont notamment un manque d’infrastructure et de personnel (enseignants).
Alors, au même titre que moi, il y a une vingtaine d’années, ils sont aujourd’hui des milliers de jeunes à traverser des fleuves souvent en pirogue pour s’offrir le «luxe» des classes. Ils sont autant à faire des kilomètres et à traverser des forets à pieds pour avoir accès à l’éducation. J’ai encore les souvenirs frais de l’image de la jeune fille violée puis tuée en rentrant de l’école qui la sépare d’une dizaine de kilomètre de chez elle. Ces situations préoccupantes sont notamment à l’origine des hangars érigés en salles de classes pour répondre au besoin de l’éducation des jeunes ruraux. Des «abris provisoires» souvent détruits sous l’effet des ouragans annonçant la saison des pluies. Un contexte qui met fin à l’année scolaire. Par conséquent, certains parents profitent de cette situation d’inactivité des enfants pour en faire une main d’œuvre pendant les travaux champêtre. Les enfants retrouveront le chemin des classes après la moisson souvent quelques mois plus tard le début de l’année scolaire. Ne sont-ils pas encore trop jeunes pour tenir une houe ou une daba? Relativement non, parce que, si aujourd’hui certains villages sont équipés de la «case des tous petits = maternelle » jadis, les effectifs pléthoriques dans les salles de classes ne permettaient pas aux plus jeunes d’accéder à l’éducation. Donc, il fallait attendre d’avoir entre sept à dix ans pour espérer trouver une place dans une salle de classe. Ce contexte a évolué dans certaines zones mais reste malgré tout entier dans d’autres. Cette disposition est aussi alarmante que celle des jeunes filles arrachées à leur volonté de s’instruire au profit des mariages «précoces» et des tâches ménagères. En outre, le manque notamment de personnel est aussi un handicap dans une phase d’extension de l’école publique. Une institution en perte de qualité depuis l’ajustement structurel qui a subit le dictat de la banque mondiale pour le recrutement des volontaires de l’éducation. En effet, malgré la motivation de ces derniers majoritairement jeunes et moins formés, le niveau des élèves de l’école publique ne cesse de dégringoler.
Par ailleurs, malgré un effort jugé croissant par les pouvoirs publics, l’accès à l’électricité est très limité dans les zones rurales. De ce fait, les devoirs de maison se font sous la lueur des lampes à pétrole, ou des bougies. Une situation qui influe défavorablement sur le niveau et la santé des élèves. Mes chers-es, face à des situations pareilles,
le seul droit que nous avons c’est notre volonté.
Au sens plus large, le Sénégal est un pays composé à 95% environ de musulmans. En effet le choix des parents dans l’éducation de leurs enfants est un droit qui doit être encadré. Car la situation des enfants de la rue qui sont majoritairement présentés comme des talibés (élèves des écoles coraniques) relève d’un problème national et particulièrement éducatif. Certains maîtres coraniques fustigent le manque de moyens et d’accompagnement des gouvernants qui les oblige à faire mendier les enfants. Suite à cette situation, des opportunistes en profitent pour récupérer des enfants afin d’en faire des «machine à argent». Donc finalement, ils ne vont ni à l’école française ni à l’école coranique mais au merci des exploitants, soi-disant maîtres coraniques. Certains organismes décomptent plus de 8000 enfants de 5 à 11 ans qui errent dans la capitale sénégalaise sans compter les autres capitales régionales. Ces tweets du Président Sénégalais Macky SALL témoignent de la gravité de la situation « Pour la protection des droits des enfants et groupes vulnérables, j’ai ordonné le retrait d’urgence des enfants des rues »; il poursuit dans un autre tweet « Pour sauver les talibés, l’État prévoit amendes et peines de prison pour ceux mettant leurs enfants dans la rue » Président Macky SALL le 1er Juillet 2016.
LES NOUVELLES DIMENSIONS DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR (PRIVE – PUBLIC / FRANCE – SENEGAL)
Au-delà des écoles de la République Française majoritairement implantées avant les indépendances pour les enfants des fonctionnaires français, l’avènement des écoles privées au Sénégal intervient après la libéralisation du secteur de l’éducation. Néanmoins, c’est relativement au début des années 2000 que l’on note une floraison d’écoles privées et particulièrement d’instituts supérieurs dans la capitale Sénégalaise. Cette nouvelle orientation catégorise l’accès à l’enseignement supérieur de qualité. Car, au même moment l’enseignement supérieur public est remis en question suite à un ensemble de facteurs dont les effets conjugués soulèvent le manque d’efficience et d’efficacité. Ce contexte est matérialisé entre autres par : les crises universitaires (grèves), un enseignement jugé trop théorique, un effectif pléthorique et un manque de matériels pédagogiques. Par conséquent, au même niveau que l’enseignement élémentaire, moyen et secondaire, les écoles et instituts de commerce deviennent une sorte de rêve pour les jeunes bacheliers. Un rêve que certains parents de classes populaires essayent de réaliser en bravant des sacrifices. Car, au profit d’une formation adéquate et d’un partenariat privé-privé, certaines écoles parviennent à insérer leurs étudiants diplômés au détriment de ceux des universités publiques. En effet, l’Université Gaston Berger de Saint Louis qui était considérée comme celle de l’excellence fait face aujourd’hui aux mêmes problèmes que l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar qui abrite plus de 70 000 étudiants à la place de sa capacité normale de 30 000 environ. Par ailleurs, contrairement aux possibilités offertes dans les pays développés notamment du système de parrainage, les étudiants des pays en développement sans moyens sont laissés à eux même et presque sans avenir. En France, ce système permet à certains de poursuivre leur études et de recevoir en même temps une formation en entreprise. En outre, la vitalité de l’économie Française et les possibilités d’insertions favorisent les prêts aux étudiants qui sont souvent épaulés par leurs écoles pour trouver un emploi. En plus, la politique de « journées portes ouvertes» des universités publiques permet à certains étudiants de rencontrer leurs futurs employeurs ou au moins de s’orienter vers les métiers porteurs. Néanmoins, même en France, la formation plus adéquate des instituts privés au nouvel système économique leur donne un avantage sur les universités publiques. Par contre, au même titre que le Sénégal, la sélection à l’entrée est basée principalement sur un critère financier excluant le mérite donc certains statuts sociaux. Alors, en résumé, si je m’aventure à faire la comparaison entre la France et le Sénégal sur l’enseignement supérieur, je dirais que le système reste presque identique sauf qu’en France les conditions et initiatives dans les universités publiques sont plus attrayantes et porteuses. Néanmoins, la promulgation de la loi sur l’accès à l’université portée par le gouvernement d’Emmanuel Macron, est un nouveau coup porté au droit à l’éducation et particulièrement des classes populaires. « Ils veulent nous refuser un droit, et particulièrement nous, les jeunes de la banlieues qui n’avons pas les moyens de payer une formation supérieure au cas où notre dossier sera rejeté par les universités publiques » martèle un syndicaliste des étudiants, lors d’une journée de blocage de l’université de Saint Denis, pour manifester contre cette loi.
LES NOUVELLES DIRECTIVES POUR UN EXERCICE ELARGI DU DROIT À L’EDUCATION
Pour faire face aux défis et situations défavorables à son véritable éclosion, le droit à l’éducation doit étendre son influence afin d’élargir son champ d’application. Dans cette phase, une gestion inclusive est indispensable :
Pour les pays en voie de développement, elle doit passer par l’implication de la diaspora. Cette dernière est le principal bailleur des familles des pays d’origine. En effet, leur volonté est largement exécutée par la famille. Donc, leur sensibiliser à travers des cellules de réflexion sur les avantages de l’éducation leur permettra de relayer un discours dans ce sens. En outre, une assistance psychologique et matérielle aux zones rurales et classes populaires peut être une clef de la situation.
Ensuite, il faudra miser sur la jeunesse pour porter le discours en les intégrant dans les instances de décisions et de promotions. En plus, utiliser les réseaux sociaux comme ‘’arme’’ de guerre pour étendre les zones d’influences sur l’importance l’éducation. Et pour redonner à l’école publique son prestige d’avant, il faudra faire porter le projet par le secteur privé qui va miser sur l’éducation publique pour redonner espoirs aux classes populaires qui n’ont pas accès aux écoles et instituts privées. Il faudra aussi participer ou initier des conseils généraux de l’éducation dans les pays en développement pour assainir les systèmes éducatifs. Concernant les pays en situation de crise ou de guerre, il faudra prendre en compte l’aspect socio-culturel du pays concerné à travers des représentants sur place qui vont appuyer les forces vives pour le retour de la paix en misant sur l’éducation.